Conte : « Les voies multiples de l’illumination »

Extrait du livre "Dix contes pour cultiver la compassion" de Lama Lhakpa Yéshé.

Le grand Lama tibétain Patrül Rinpoché était un maître vénéré de tous et fort respecté, et les gens se pressaient autour de lui pour recevoir ses paroles pleines de sagesse et de clairvoyance. Ses enseignements étaient simples, directs et profonds et, d’une façon ou d’une autre, l’essence de son discours aboutissait toujours à la pratique de la compassion.

Un jour, il déclara à un petit groupe de ses élèves : « Le but de la vie est d’aider tous les êtres sensibles à se délivrer de la souffrance. Pour ce faire, il faut cultiver une compassion pure, illimitée et inconditionnelle envers tous, sans la moindre exception. »

Patrül Rinpoché encourageait toujours la discussion, le dialogue et le débat. Aussi, après avoir formulé cette considération générale, demanda-t-il : « Est-ce que vous comprenez ? »

 

L’un de ses élèves avait des questions : « N’y a-t-il pas trois voies pour chercher l’illumination ? Dois-je d’abord moi-même atteindre l’illumination avant d’aider autrui à trouver l’illumination ? Ou dois-je travailler à ma propre illumination tout en aidant autrui à trouver l’illumination ? Ou bien encore assister autrui d’abord, puis travailler à ma propre illumination ? Quelle est la meilleure voie ? S’il vous plait, Lama, voulez-vous nous l’expliquer de manière très claire pour que nous comprenions bien ? »

 

Patrül Rinpoché sourit. « Eh bien, voici vraiment d’excellentes questions, répondit-il, et tout dépend de vos penchants naturels. L’une des voies est semblable à celle d’un roi, d’une reine ou d’un grand souverain. Ceux qui occupent cette position souhaitent acquérir et accumuler pouvoirs et richesses avant d’aider tous les autres et leur apporter la prospérité. Comme les rois et les reines, il y a des gens qui souhaitent être éclairés et accéder d’abord à la pureté absolue du cœur avant de s’en aller parcourir le monde pour initier les autres à la pratique de la compassion et la bonté. Ils pensent « Si je ne suis pas bon et compatissant moi-même, comment puis-je aider autrui à atteindre l’éveil ? » Alors, ils travaillent d’abord sur eux-mêmes, puis aident les autres. C’est ce que j’appelle la voie des rois et des reines. »

Le lama fit une pause et regarda les élèves pour s’assurer qu’ils avaient bien compris, puis il poursuivit : « La deuxième voie est semblable à celle des capitaines de navire. Ils ne peuvent pas prendre la mer tant que tout le monde n’est pas à bord avec eux. Tout le monde fait le voyage ensemble, traverse les océans et atteint l’autre rive en même temps. Comme les capitaines de vaisseau, il y a des gens qui agissent collectivement. Leur propre éveil et leur pratique de la compassion vont de pair avec l’aide qu’ils apportent aux autres dans leur voyage vers la compassion. C’est ce que j’appelle la voie du capitaine de navire. »

Patrül Rinpoché prit quelques inspirations profondes et parcourut à nouveau l’assemblée du regard. Tous l’écoutaient attentivement. « Il y a une troisième voie, continua-t-il, la voie des bergers et des vachers. Ceux-ci rassemblent leurs bêtes et les conduisent l’été à de verts pâturages. Comme vous le savez, l’hiver, à cause de la neige, on garde moutons, vaches et yaks à l’intérieur, mais l’été, les fermiers emmènent leurs troupeaux dans les montagnes. Ces gardiens de chevaux, mules, ânes, yaks, vaches, moutons et chèvres s’assurent que leurs bêtes puissent brouter tout à leur aise dans de grasses prairies. Les pâturages sont couverts de fleurs sauvages, d’herbes nourrissantes et de frais ruisseaux où les bêtes peuvent s’abreuver. Quand les gardiens voient que leurs troupeaux sont bien installés et paissent tranquillement, à l’abri des prédateurs, alors seulement ils peuvent se détendre, monter leur yourte, préparer le repas et se reposer. De même, il y a des gens en quête d’illumination et de compassion qui aident et assistent d’autres êtres vivants dans leur recherche d’accomplissement, de satisfaction et de sagesse. Ils prennent d’abord soin d’autrui, avant de rechercher leur propre salut. C’est ce que j’appelle la voie des bergers. »

Patrül Rinpoché lissa un moment ses élèves discuter de la question entre eux. Le débat s’envenima bientôt.

« C’est assurément la voie des rois et des reines qui est la meilleure. Comment pouvons-nous aider autrui si nous ne sommes pas compatissants nous-mêmes ? » affirma l’un.

« Non, je crois que la voie du capitaine de vaisseau est bien meilleure. Nous devons tous travailler ensemble. Pour que tout le monde soit éclairé en même temps », le contredit un autre.

« Je ne suis pas d’accord. A mon avis, c’est la voie des bergers qui est la meilleure. Nous devons les aider avant de nous aider nous-même », lança un troisième.

Quand le lama revint, un élève lui demanda : « Rinpoché, je vous en prie, voulez-vous nous dire quelle est la meilleure voie ? Nous n’arrivons pas à nous mettre d’accord et nous voulons savoir avec certitude. »

« Mes chers élèves, reprit Rinpoché, il n’existe pas de voie unique qui puisse satisfaire tout le monde. Comme je l’ai déjà dit, cela dépend de votre nature, de votre personnalité, de votre caractère. Suivez n’importe quelle voie : du moment que vous en suivez une, vous parviendrez au but. La voie des rois et des reines, la voie du capitaine de vaisseau et la voie du berger sont de simples métaphores. Comme des étiquettes. Nul n’est besoin de s’encombrer d’étiquettes. A partir du moment où vous cultivez la compassion, vous êtes sur la bonne voie. Penser qu’une voie est meilleure qu’une autre, ou que ma voie est meilleure que la vôtre, est signe d’arrogance. Ceux qui recherchent la vérité doivent poursuivre leur propre voie tout en respectant toujours celle d’autrui.

La voie de la sagesse et de la compassion rend humble. Soyez comme l’orge dont la tige se penche très bas sous le poids du grain mûr. Se pencher très bas est signe de plénitude et de maturité.

Une tige sans grain se dresse, droite et raide. Elle peut paraître forte et fière, mais elle n’a pas de grain, elle ne nourrit pas grand-monde. Par conséquent, pratiquez la compassion avec humilité, soyez sages, sans arrogance. On peut être arrogant au nom de la religion, de la nationalité, de la couleur ou encore du genre. Nous devons nous libérer de ces attitudes négatives qui nous éloignent les uns des autres et pratiquer à la place la voie de la compassion.

Alors suivez la voie qui convient naturellement. Ce n’est pas la forme extérieure qui importe, c’est l’âme intérieure, du pur esprit, que nous devons nous préoccuper. »

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