Conte tibétain pour cultiver la compassion
Il était une fois un jeune disciple dont l’état d’esprit était rempli de pensées négatives à propos de ses parents. Il les trouvait autoritaires et tyranniques, et il se disputait sans arrêt avec eux ; pourtant, il craignait de les affronter. Ces pensées négatives tournaient dans sa tête comme dans un bol au point où il ne savait plus où il en était. Tourmenté, désespéré, il alla voir le lama.
« Mon esprit est empli de colère et de peur, cher Lama. Que dois-je donc faire ? »
« Eh bien, dit le lama, la première chose est d’avoir conscience de ton état d’esprit. Alors seulement, tu pourras vaincre ta colère, tes peurs et toutes tes émotions négatives. »
« Comment puis-je prendre conscience de mon état d’esprit ? » demanda le disciple.
« Essaie cette simple technique, conseilla le lama. Trouve un ruisseau dans la montagne et ramasse vingt petits cailloux. Rapporte-les chez toi et étale-les sur une table devant toi, puis prends un bol noir et un bol blanc. Place le bol noir à ta gauche et le bol blanc à ta droite. Reste immobile, ferme les yeux et observe les mouvements de ton esprit. Chaque fois que te vient une pensée négative, ouvre les yeux et mets un caillou dans le bol noir. Chaque fois que te vient une pensée positive, ouvre les yeux et mets un caillou dans le bol blanc. Fais-le pendant une semaine, puis reviens me dire où tu en es. »
Cela parût une solution simple et pratique aux problèmes du disciple et il fut ravi du conseil. Il remercia le lama et se hâta de rentrer chez lui, sans oublier de ramasser vingt petits cailloux en chemin. Une fois à la maison, il chercha un bol noir et un bol banc, alla dans sa chambre, s’assit et se mit en devoir de suivre les instructions du lama.
Dès qu’il commença à observer son esprit, le souvenir de sa dernière dispute avec ses parents lui revint en mémoire et il commença à fulminer tout seul parce qu’il les jugeait vraiment trop autoritaires et tyranniques. Ce qui le rendit furieux contre ses parents, mais il redoutait toujours l’affrontement. Puis il se rendit compte qu’il nourrissait des émotions négatives vis-à-vis de ses parents. Un caillou dans le bol noir. Il se tortilla sur sa chaise puis se concentra à nouveau, mais son esprit était toujours irrité. Un autre caillou dans le bol noir.
Puis il se dit qu’il devrait s’ouvrir à ses parents, que ses affaires ne les concernaient pas. Une autre pensée agitée – un caillou de plus dans le bol noir. Une demi-heure passa et, à la fin, le disciple découvrit que les vingt cailloux étaient dans le bol noir. Cela le rendit encore plus furieux – mais il ne restait plus de cailloux pour comptabiliser cette pensée négative. Il alla se coucher d’un pas pesant, l’esprit toujours empli de colère et de peur.
Le lendemain, il se souvint que le lama lui avait dit d’utiliser sa technique une semaine entière, aussi fit-il une nouvelle tentative. Ses émotions négatives étaient toujours trop fortes pour être contrôlées. Il se dit « Peut-être devrais-je quitter la maison, mes parents verront alors combien je suis utile. » Un caillou dans le bol noir. Puis il songea : « Non, je ne peux pas partir, mes parents sont trop vieux et trop fragiles pour se débrouiller tout seuls. » Une bonne pensée. Le premier caillou pour le bol blanc. » Mais c’est trop dur pour moi de m’occuper de mes parents et de vivre avec eux. » Une pensée négative. Un caillou dans le bol noir. » Pourtant, quand j’étais petit, je n’étais pas sage et malgré tout, mes parents veillaient sur moi et m’aimaient. » Une pensée positive. Un caillou dans le bol blanc. « Je vais leur exprimer toute ma reconnaissance, résolut-il, et essayer d’être patient avec eux. » Deux cailloux dans le bol blanc. Une demi-heure s’écoula. Cette fois-ci, au moins, il y avait quelques cailloux dans le bol blanc. Le disciple se sentit quelque peu soulagé.
Les troisième, quatrième, cinquième et sixième jours passèrent. Cet exercice se révélait extrêmement utile : non seulement le disciple observait son esprit, mais il découvrait aussi une part de générosité au fond de son cœur. Ses conversations avec ses parents se faisaient moins tendues.
Quand il s’éveilla le septième jour, il avait hâte de retrouver ses bols et ses cailloux. Le tout premier instant de méditation lui apporta une pensée joyeuse : « Je remercie mes parents d’exister ! ». Caillou dans le bol blanc. « Je suis très reconnaissant d’être en si bonne santé ». Caillou dans le bol blanc. « C’est si bon d’avoir un toit au-dessus de la tête et les délicieux plats que prépare ma mère. » Encore des cailloux dans le bol blanc. Pensée après pensée étaient baignées d’émotions positives : l’humilité, la générosité, l’acceptation et l’amour. Chaque caillou rejoignit les autres dans le bol blanc. A la fin de cette méditation, le bol noir était complètement vide et le bol blanc était plein.
Le lendemain, le disciple s’en fut voir le lama. Celui-ci lui dit « Ce n’est pas le monde qui est le problème, c’est notre réponse négative au monde – et donc, si l’on veut être heureux, il faut laisser la compassion émerger dans son cœur. Une fois que la compassion a surgi, il faut en prendre soin et la conserver. Et puis, il faut œuvrer avec diligence pour que la compassion fleurisse et croisse de plus en plus, afin que chaque heure du jour, chaque jour de la semaine, chaque semaine du mois, chaque mois de l’année soient pleins de compassion et qu’il n’y ait plus la moindre place pour la jalousie, la colère, la convoitise ou la peur. »
Extrait du livre « Dix contes Tibétains pour cultiver la compassion » de Lama Lhakpa Yéshé